Les Atours de la nuit, performance artistique avec le percussionniste Youssef Hbeisch & le clarinettiste et flûtiste Mohamed Najem, Musée de l’Institut du monde arabe, Paris. La Nuit européenne des musées 2019. (le 18 mai 2019).
Dans le prolongement de l’exposition « À la plume, au pinceau, au crayon : dessins du monde arabe », la plasticienne Nagham Hodaifa a conçu une performance sur le thème des sortilèges de la nuit, inspirée par les vers d’une ode (mu’allaqa) du poète Imru’ al-Qays معلقة امرئ القيس, dans la traduction de Pierre Larcher :
Que de nuits ont roulé la vague de leurs voiles / Sur moi, lourds de tant de peines, pour m’éprouver !
Je criai à chacune, quand elle s’étirait / faisant saillir sa croupe, incurvant le poitrail :
Ô longue nuit, je voudrais tant que tu écloses / En matin, mais il n’est matin qui te surpasse.
وليل كموج البحر أرخى سدولهُ عليَّ بأنواع الهموم ليبتلي
فَقُلْتُ لَهُ لما تَمَطّى بصلبه وأردَف أعجازاً وناءَ بكلْكلِ
ألا أيّها اللّيلُ الطّويلُ ألا انْجَلي بصُبْحٍ وما الإصْباحَ مِنك بأمثَلِ
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À l’heure où les Pléiades dans le ciel vacillaient / Comme les plis d’une ceinture sertie de pierres,
Je vins. Elle avait ôté, pour dormir, ses robes / près du voile, hormis une, façon négligé.
La performance, ordonnée en trois temps, déploie successivement la calligraphie, le dessin et la peinture. Nagham Hodaifa qui a précédemment travaillé sur le thème de la chemise de nuit, dite aussi « négligé », est accompagnée par Youssef Hbeisch aux percussions, et Mohammed Najem à la clarinette et à la flûte. Les musiciens rythment ainsi la gestuelle de l’artiste, en écho au souffle du poète et aux bruissements de la nuit…
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« L’atelier-performance Les Atours de la nuit a évolué en trois moments de 21h15 à 23h45 devant une assistance nombreuse et attentive. L’artiste-peintre y était accompagnée de deux musiciens palestiniens : le percussionniste Youssef Hbeisch et Mohamed Najem, à la flûte et à la clarinette. Youssef, à l’origine de ces créations musicales, suit le travail de Nagham depuis 2009 et crée avec elle ses premiers spectacles vivants.
Nagham Hodaifa dessine à plat sur un grand tondo de vélin d’Arches de 3,39 m de diamètre. Son matériel disposé tout autour, elle nous fait franchir le seuil de la création, de l’atelier transporté ici, nous dévoile le métier.
Elle s’inspire de quelques versets d’une ode (mu’allaqât) antéislamique d’Imru’al-Qays, le « roi-errant » (497-545) ; chassé du royaume de Kinda par son père pour ses frasques et sa poésie érotique, il erra ensuite pour venger son père assassiné.
(…)
La nuit est ici célébrée par la rotondité : la tente nomade, le retour du guerrier sur son passé, l’accouplement, la voûte céleste, les étoiles. Le thème en boucle est repris en trois temps suivant l’ordre des images du poème, les vers du poème calligraphié en spirale, l’artiste tournant sur le support : emporté dans une cavalcade ou l’assaut des vagues, l’odombrement au fusain envahit toute la surface du papier et le texte qui par endroit transparaît, l’apparition d’un trait déchirant l’espace, la chemise, et le dripping final de peinture signifiant les étoiles et l’orgasme.
Le sortilège du poème, le souffle d’une voix ancienne, l’aura du lieu, se sont réanimés dans le hors temps d’une création, à l’occasion de cette nuit de pleine lune. Unis là, autour du tondo, nous avons partagé, avec le personnel du musée, avec la présence muette des œuvres, une sorte de veillée communielle dans la circularité ambiante. Haute nuit ensemencée de rythmes, de poésie. »
(extraits de l’article de Martine Monteau, « Deux performances de Nagham Hodaifa à l’IMA Les Atours de la nuit et Mirage-Sarâb », publié dans le site officiel de l’institut du monde arabe, le 8 nov. 2019).