MĂ©diterranĂ©e … fin de tout espoir
Dédié à celles et ceux dont le rêve a pris fin en mer.
Au milieu de l’azur et du fond marin magique et mystĂ©rieux, il ne reste que des chemises, quelques gants, des drapĂ©s… Le corps a disparu, en symbiose avec la mer.
Le projet MĂ©diterranĂ©e est nĂ© de la contemplation de la mer durant mon sĂ©jour niçois l’annĂ©e dernière. Je n’arrivais pas Ă oublier la noirceur que cette mer a connue ces dix dernières annĂ©es. Selon le projet de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) le nombre de dĂ©cès et disparus dans la MĂ©diterranĂ©e dĂ©passe 26 848 depuis 2014. Beaucoup ont pĂ©ri en mer sans laisser de traces. C’est un hommage que je dĂ©die Ă tous ceux-lĂ , ainsi qu’Ă celles et ceux qui ont pĂ©ri dans la Manche, et en remontant dans le temps, en Atlantique, aux victimes de 1929-1936 (Espagne, États-Unis), de l’exode de 1940 (dĂ©bâcle) et aux boats-people… Ă€ tout homme, toute femme qui a perdu sa vie Ă cause de son dĂ©placement. La migration remonte dans l’immĂ©morial, elle est intimement liĂ©e Ă l’histoire de l’humanitĂ©.
Un immigrant n’a commis aucune faute sinon d’être nĂ© en un lieu que les circonstances l’ont obligĂ© Ă quitter Ă la recherche d’une vie meilleure. N’importe qui peut ĂŞtre Ă sa place. Il est nĂ©cessaire de regarder en face cette tragĂ©die et qui malheureusement continue. Toute civilisation se mesure Ă la façon de traiter les morts.
C’est une question de dignité de notre condition humaine, un sens à donner à  notre commune présence sur terre par-delà les frontières.
[Elle] « souhaitait s’emplir de sa nostalgie de la MĂ©diterranĂ©e mais aussi de la rĂ©alitĂ© de ses drames. et voici que cette MĂ©diterranĂ©e lui Ă©tait interdite. Ne lui restait plus que le bruissement proche des vagues au rythme de son imaginaire. C’est donc lĂ qu’elle Ă©labora cette Ĺ“uvre subtile tant les effets de transparence sont dĂ©jouĂ©s par la violence sourde et tragique qu’elle recouvre.
La peinture est ce flot rythmĂ© par le souvenir de la danse, de la gestuelle du corps comme source de l’acte crĂ©ateur. Pourtant la prĂ©sence du corps n’apparaĂ®t jamais ici dans sa rĂ©alitĂ© mais seulement par le miroir de son enveloppe immergĂ©e qui se dĂ©cline par fragments. Sur des polyptyques de grand format, des mains, des pieds, des indices de corps rĂ©duits Ă ce qui les recouvrait comme le cri Ă©teint des milliers de disparus au fond de la mer. Les flots se dessinent alors dans le drapĂ© d’un linceul et de ses dĂ©chirures. Un bleu superbe s’empare de formes organiques et visqueuses, la mer s’Ă©tire dans l’huile de la peinture pour dire le silence des profondeurs, le recueillement qu’il impose.
Maudire la beautĂ© Ă©corchĂ©e par les hommes mais la proclamer encore. « Le dire avec des gants » puisque que c’est aussi avec ceux-ci qu’elle travaille. Mais aussi pour murmurer autrement, prudemment, mais sans concession aucune. Ou bien comme quand « on jette le gant » par dĂ©fi, et qu’on se dĂ©voile dans la peinture, qu’on plonge dans ses fonds mystĂ©rieux d’oĂą remonte Ă la surface comme l’Ă©cho d’un champ funèbre.
Pourtant les toiles ou les autres supports de Nagham Hodaifa s’imprègnent de lĂ©gèretĂ©. Les formes qu’elle convoque sont vivantes, fĹ“tales et semblent en attente dans un ocĂ©an amniotique dans l’espĂ©rance d’une vie future. L’œuvre se dĂ©ploie, musicale, dans cette lumière incertaine saisie au cĹ“ur de l’Ă©motion. »
Michel Gathier, Nostalgie mĂ©diterranĂ©enne Ă l’HĂ´tel WindsoR (Nagham Hodaifa) par Michel Gathier, 1er juillet 2020. SmArty Magazine.
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Entretien menĂ© par Ettijahat – Independent Culture, 2021.
Le projet MĂ©diterranĂ©e… fin de tout espoir a obtenu le soutien d’Ettijahat – Independent Culture & Goethe-Institut