Chemise de nuit

Le motif de la chemise de nuit commence à apparaître dans ma peinture avec la mémoire d’une chemise de nuit donnée par ma grande mère par ce geste passe la transmission d’une temporalité féminine. Ma première toile traitant de ce sujet date de 2012 (précédée quelques années plutôt par de multiples dessins dans mes carnets). Cette dernière « Nightgown I » dresse la chemise à ma taille mais sans tête, ni visage. Le point de départ est un moment vécu de vie familiale, lié à l’intimité ; il prétend devenir un objet universel qui sonde notre condition humaine grâce aux questionnements soulevés par ce voilage, qui peuvent être de nature philosophique, théologique ou morale et qui peuvent porter une dimension sociale ou anthropologique.

Il y a une forme d’investissement affectif, une temporalitĂ© aussi : cette Ă©toffe habitĂ©e, porte une histoire, mais a aussi un sens profond dans le geste du prolongement : celui de garder, de se souvenir, d’ancrer une histoire qui n’a de cesse de se renouveler. Ce voile de nuit est le lieu de l’intime. Et le regard dès lors, faisant preuve d’une certaine retenue, se masque Ă  son tour pour rendre visible « le cachĂ© ». DrapĂ©/dĂ©sir, drapĂ©/peau quelle fonction et quel sens peut engendrer cette image dans les strates de la peinture?

Femmes au miroir


 

« Ces femmes au miroir de plein pied ne sont pas des autoportraits. De l’une à l’autre nous suivons une évolution. Si son pinceau se souvient de travaux antérieurs la nouveauté du propos, référant au passé, surprend. Vêtant ces femmes de la chemise héritée de sa grand-mère, Nagham se situe dans cette quête de soi par rapport à sa propre démarche, dans un jeu d’autocitations, de reprises, d’inversions, de renvois et d’appels d’un tableau à l’autre. Le corps entier, la figure se sont reconstitués, corps féminins, dédoublés, questionnés, multipliés. L’aspect de chacune change, brune, blonde, ainsi que sa gestuelle, ses regards, la place du miroir se modifie.

La mimésis jouant de reprises, le regard nourri plonge délibérément dans l’héritage visuel. Les autoréférences vont s’augmenter de citations picturales (Botticelli, Caravage, Velázquez, Le Gréco, Goya, Rothko, Vermeer), cinématographiques (Tarkovski, Kurosawa, Bergmann). Mythes et poésie sont aussi convoqués : Narcisse, Vénus, Méduse, Ophélie, Prométhée…

 

Et, au figuratif se mêlent l’abstrait, le symbolique, l’imaginaire des éléments. Le sans forme de l’eau féminine, porteuse de vie, les turbulences de l’air, l’éclat d’une matière lumière.

Tout cela s’entrepénètre, se renforce, fait signe. Le visible renvoie à l’immatériel, à l’invisible.

Une énergie travaille cette peinture, qui émane autant des couleurs que de la puissance d’exécution. Exaltés, les tons fauves surgis d’une ombre nous happent. Touche colorante, textures, grand format et plein pied nous transportent dans un face à face qui expose l’artiste à sa propre transformation, là où commence l’éternel questionnement qui accompagne une vie sensible en éveil, qui d’une œuvre engendre une œuvre. »

Martine Monteau

(extrait du texte Nagham 2023; Femmes au miroir, publié au catalogue Matières spéculaires)